L’image d’Epinal, un poil patriarcale, un chouïa rousseauiste, fait du noble vieillard à barbe blanche le détenteur de toute sagesse. A mon humble avis, la barbe est pour beaucoup dans l’histoire : ajouter une barbe à un insipide quidam c’est lui ajouter le mythe, la dimension archétypale. Mais je crains de m’égarer en parlant barbe, ce sera pour une autre fois, parlons vieux. Enlevez la barbe du sage, vous avez un vieux fou bon pour l’hospice. La vieille, quant à elle, est détentrice des plus anciens secrets chtoniens, en contact avec les forces primitives, c’est assez simple, dès que vous voyez une vieille quelque part, il y a du chtonien dans l’air, si je peux me permettre cet oxymore. : la nourrice, force utérine et ombilicale, veut empêcher la séparation et l’émancipation, toujours du côté de l’instinct, de la pulsion, la sorcière, l’entremetteuse, la grand-mère, du chtonien, toujours du chtonien. Le vieux, avec sa barbe nuageuse, serait censé représenter l’ouranien (exemple : Sarastro). C’est bien joli tout ça, mais c’est le mythe : la sagesse ne se gagne pas avec l’âge si j’en crois les bribes de conversion volées à des vieilles dans le bus, l’expérience n’y change rien, si je me fie aux conversation de vestiaire d’un club de gymnastique (je n’ai rien contre les vieux qui entretiennent leur corps, au contraire, mais s’ils pouvaient éviter de se prendre pour des midinettes ce serait autant de respectabilité de gagnée) : quand on est con, on est con. Et si un jeune con, c’est sympathique, c’est frais, c’est insouciant, c’est beau, un vieux con, ça n’est que con (sad but true comme dirait Metallica). Le vieux, loin de moi l’idée d’une quelconque misogynie mais je me fonde sur l’expérience des bus et des connaissances, est moins insupportablement con que la vieille : pas de jacassage puéril, de médisance gratuite, de coquetterie ridicule, ce qu’il compense par un comportement d’ours mal léché misanthrope, mais c’est là une certaine sagesse qui sied à l’âge, qui frise parfois la connerie par son exagération, mais qui m’est, de façon totalement subjective, infiniment plus supportable.
L’usage voudrait nous imposer le respect envers les vieux. Mais de quel droit ? De quel avantage peuvent-ils se prévaloir ? Un vieux a très peu pour lui : sans force, sans beauté, sans fraîcheur, on ne peut rien lui passer des travers de la jeunesse, un vieux au Rocky, ce serait malsain, un vieux gourmand, c’est sénile, un vieil obsédé, c’est vicieux, un vieux paresseux, c’est la déchéance, un vieil envieux est un nuisible majeur au venin dangereux (en revanche, certains défauts sont sympathique chez un vieux, la radinerie, ridicule chez un jeune, se porte bien avec les cheveux blanc, un vieil orgueilleux a de la noblesse, un vieux colérique a un certain charme d’ours). Devant tant de flétrissures, le vieux, à défaut d’une gloire physique qui s’impose à tous, doit gagner le respect par sa noblesse, sa dignité, sa retenue, son élégance : le vieux doit être irréprochable. Cela existe, on en voit parfois, des vieillards dignes, des femmes âgée que l’élégance de leur mise et la noblesse de leur regard rend belles (souvent dans la grande noblesse ou la grande simplicité des pays qui ne sont pas soumis au culte de la consommation), mais c’est rare.
Le vieux est bien plus souvent égoïste, malpropre, débile (au sens premier), fermé à la nouveauté, bavard, baveux, étroit d’esprit, inconsciemment matérialiste, adepte de la stupidité cachée sous le nom de « sagesse des nations ». Seule l’intelligence et la finesse peuvent supplanter les perfections physiques de la beauté et de la vigueur, or celles-ci ne sont pas l’apanage de la vieillesse, j’entends bien qu’un vieux puisse en faire preuve, au même titre qu’un jeune, mais la vieillesse n’en a pas la possession exclusive, le vieux, en soi, n’a droit qu’au mépris attachés à sa faiblesse jusqu’à ce qu’il impose le respect par d’autres qualités. Le jeune n’a rien à prouver, sa force s’impose à tous sans besoin de l’affirmer, il porte sur lui la beauté et la jeunesse.
Le vieux ne peut se prévaloir des années d’existence qu’il a subit, du poids de ses souffrances : rien ne l’oblige à vivre si vieux, s’il persiste et s’accroche à la vie comme un parasite il doit en subir les conséquences, physiques notamment, et s’en pleindre serait une inconséquence puisque la vie est son choix. Libre à chacun de quitter la vie (en se suicidant ou en multipliant les prises de risques) au moment ou il le souhaite (à ce propos, je rappelle que ceci est un essai, une projection purement intellectuelle et esthétique, en dehors de mes convictions de Chrétienne quand à la vie et la mort, ont peu condamner cette « schizophrénie » de la pensée, soit.), à l’apogée de sa force, physique ou intellectuelle, de sa gloire, que sais-je encore ? Au premier signe de décrépitude, si l’on ne fige pas sa jeunesse dans la mort, il faut accepter tous les maux de la vieillesse, par idéalisme ou concupiscence, faiblesse confortable dans l’attachement à « la peau » comme dirait Malaparte. Ce qui nous ramène à notre division des vieux en deux groupes : les idéalistes (qui souvent portent sur leurs traits la noblesse de leur cause) et les jouisseurs, qui ne méritent que le mépris du aux sangsues. A quelque vieux débris demandant avec arrogance (l’arrogance des vieux est une chose incroyable !) votre place assise, on serait en droit de répondre « si vous ne vouliez pas vieillir, il fallait mourir avant, maintenant assumez ».
Il est encore plus ridicule de voir des vieux atteints de maniaquerie et soucieux de leur santé : quelle vanité que de vouloir à tout pris prolonger une existence débile et souvent végétative, si la mort ne vient pas cet hiver, ce sera pour l’autre, ou dans cinq ans : ne faut il pas préférer la dignité et la respectabilité à quelques années grappillées ?
Il y a trois vertus : l’intelligence, la force et la beauté, les vieux, privés des deux dernières, n’ont droit à l’égalité avec les jeunes qu’à condition de faire preuve de la première (et la plus vénérable) : le respect n’est pas un droit acquis et consubstantiel à la personne : il se gagne !