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25 juillet 2015 6 25 /07 /juillet /2015 09:34

En une semaine, deux entretiens se sont mis à circuler parmi mes amis et contacts : celui de Lou Doillon sur le "féminisme" dans la pop-culture américaine, et celui d'Alan Moore sur les films de super-héros.
Les réactions à propos d'Alan Moore semblent être plus mesurées, sans doute parce que les remous sont plus récents, et aussi parce que le niveau intellectuel des personnes s'intéressant à l’œuvre de Moore est assez peu comparable avec la fange de la masse grégaire du féminisme (lisez la suite avant de rager, merci).

Mais dans les deux cas, avec pas mal de nuances, je me suis trouvée plus ou moins d'accord avec les personnes interrogées, à propos de bulle des comics ou de culs amerloques, de rondeurs, donc, et voudrais dire ici pourquoi.


Commençons par Doillon, pas à cause de son genre, mais parce que l'affaire a fait rage un peu plus tôt, et de façon parfois assez basse du front. Je ne parle pas espagnol, donc je vais devoir m'en référer aux citations sorties de leur contexte par les journaux francophones.
“Je me dis que ma grand-mère a lutté pour autre chose que le droit de crâner en string.”
On a reproché à Doillon de tenir ces propos alors qu'elle même avait posé nue etc...
Sauf qu'il y a une grande différence entre du nu artistique esthétique et un string rose fuchsia ultra vulgaire utilisé pour remuer du cul.
C'est d'ailleurs typiquement états-uniens de ne pas voir cette différence et de censurer le téton pour le téton, le pubis pour le pubis, comme on peut en voir dans tous les musées, aux départements antiques et modernes, peinture et sculpture... en laissant passer les reins creusés / string tendu / microbikini-qui-ne-cachent-que-le-diabolique-téton / doigt dans la bouche / yeux implorants vers le haut (parce que la position de l'homme est forcément dominante et supérieure).


(On saluera Angela Merkel en passant, cette femme a la classe \o/ ! ) 

Qu'une femme se balade à poil n'a RIEN à voir avec le féminisme. Du nu, il y en a depuis les Venus rupestres. Que les grandes hétaïres aient une influence considérable sur la culture n'en a pas plus. En cela, les pop-stars actuelles seraient les héritières bien dégradées intellectuellement des courtisanes passées. Rien de nouveau sous le soleil.
Ce qui PEUT être féministe dans le fait de se balader peu vêtue, c'est que la femme de la rue le fasse, et que cela soit culturellement accepté sans qu'elle risque des propos déplacés ou des agressions sexuelles. Ce que fait le 1% n'a strictement AUCUNE incidence là dessus, pour la bonne raison qu'il le fait depuis des siècles et que rien ne change pour "la masse". Les châtelaines peuvent exhiber leur blanche poitrine ornée d'anneaux d'or, et ne recevoir hommages que dans les codes de la fine amor, les vilaines se feront toujours culbuter sur une botte de foin, sans aucune considération pour un éventuel consentement.

Non, ce qui se déroule ici n'a RIEN à voir, à mon avis, avec le féminisme, mais tout avec un modèle culturel. Le modèle culturel européen, des femmes artistiquement nues, de Diane de Poitiers à la Nouvelle Vague en passant par Klimt et Bunuel, sans que cela ne choque grand monde, ce modèle nonchalant, détaché, un peu désabusé, jouisseur et pessimiste, contre le modèle américain du twerk, du sourire Colgate, du bronzage obligatoire, des strings fluo et de l'optimisme laborieux et commercial.

Bref, c'est une affaire de goût, et de niveau culturel. Et là, même si je trouve que Doillon s'est trompée en parlant de "féminisme", que, comme il a été souligné ici et là, se tirer dans les pattes au sein d'un mouvement est toujours très con et ne soutient, finalement, que les causes adverses, si on remet le débat là où il doit être, sur le plan du goût et des systèmes culturels, eh bien je suis d'accord avec notre Lou nationale.
Parce que oui, même si je PEUX trouver certaines starlettes efficaces dans les titres qu'elles n'ont écrit que dans 5% des cas (par exemple Britney Spears ou Madonna, ça divertit, ça détend, ça stimule, c'est efficace), l'univers esthétique de ces Beyonce-Minaj-Aguilera-Shakira me donne franchement la gerbe. Après, ça n'est pas pour ça qu'on ne peut pas s'amuser avec, le reprendre, le parodier, de temps en temps (je plaide coupable de port intempestif de chaps en vinyl rose sur fundoshi...). Et ne parlons même pas de musique...

"On me dit que je n’ai rien compris, que c’est une vraie féministe parce que dans ses concerts il y a un énorme écran qui le dit. C’est dangereux de croire que c’est cool” dit Doillon à propos de Beyonce. MERCI !
C'est exactement ça le problème : la culture ricaine traite le féminisme comme une marque, un label, un slogan pour nous refiler sa daube calibrée et ultra vulgaire. Ne nous laissons pas gaver comme des veaux, camarades féministes ! Je suis la première à passer BEAUCOUP trop de temps sur Buzzfeed, mais je le fais toujours avec un recul critique : ne laissons pas la culture du bling, du faux, du formaté nous dicter ce qu'est "le féminisme" ou coller un peu n'importe comment cette étiquette, un peu comme celle de "top50" ou de "vu à la télé" pour nous refourguer ses sanies culturelles.


pas la même chose... (j'ai foutu Azalea en miroir pour comparer des corps comparables)  

Et pour finir, c'est totalement subjectif, et je SAIS que le féminisme à pour but que chacun et chacune puisse mener sa vie telle qu'il ou elle l'entende. Et si cela se conforme parfaitement aux codes patriarcaux, tant mieux pour eux, ça n'est pas à nous de juger. MAIS, quand j'entends des trucs comme
"Yes I do the cooking
Yes I do the cleaning
Plus I keep the na-na real sweet for your eating
Yes you be the boss and yes I be respecting
Whatever that you tell me cause it's game you be spitting"

j'ai de lourdes tendances à entsichere(r) mein Browning, comme dirait l'autre.



Passons maintenant à Moore, qui s'inquiète de la mode actuelle et selon lui décérébrante des films de super-héros. Son entretien date de 2014, et comme ses fans ne sont pas, eux, totalement débiles, cela ne crée pas de polémiques, mais j'aimerais tout de même souligner quelques idées :

"I found something worrying about the fact that the superhero film audience was now almost entirely composed of adults, men and women in their thirties, forties and fifties who were eagerly lining up to watch characters and situations that had been expressly created to entertain the twelve year-old boys of fifty years ago."
(...)
"I would also observe that it is, potentially, culturally catastrophic to have the ephemera of a previous century squatting possessively on the cultural stage and refusing to allow this surely unprecedented era to develop a culture of its own, relevant and sufficient to its times."


Trois idées sont importantes selon moi :

* il parle des FILMS, non des comics en eux-mêmes, et sur ce point, je ne vois pas comment lui donner tort. Nous sommes bombardés de merdes hollywoodiennes à la sauce Marvel ou DC depuis 5 ou 6 ans, toutes suivant le même schéma narratif peu ou prou, les mêmes ressorts comiques / émotifs / épiques, la même morale consensuelle... j'aurais tendance à foutre tout ça, quitte à me faire tout plein d'ennemis, dans un gros sac, direction la décharge du coin.

* stagner dans une culture adolescente à 30 ans passés (ou même 25 ans passés)... attention, point sensible... en effet l'immense majorité de la communauté dite "geek" et désormais célébrée depuis bien 10 ans par la culture de masse revendique cette fidélité régressive, de façon un peu punkouillette parfois, "société tu m'auras pas", et toutes ces choses (sauf que c'est peut-être PRECISEMENT la façon qu'a le capitalisme triomphant de nous avoir, et de nous la mettre bien profond... surtout restez des gamins, ça nous évite de songer à différents produits, on peu se contenter de hausser les prix, et surtout, comblez votre immaturité émotionnelle via des objets facilement distribuables... et toutes ces choses, m'enfin ça n'est qu'une hypothèse). Ce que je vois là dedans, ça n'est pas (ce que Moore ne dit jamais) qu'il faille se désintéresser des comics, mais les voir pour ce qu'ils sont, SURTOUT ceux de Moore (et de Gaiman) : une introduction, une initiation à usage des adolescents vers les sujets vastes, profonds et parfois perilleux que sont la culture, la mythologie, la littérature et l'ésotérisme. Le propre d'une introduction est d'être dépassée. Je prenais, en commentant cet entretien sur FB, l'image d'une coupe de potion amère de croissance dont on aurait enduit les bords de miel. L'enfant boit, et croît. Jusqu'à ce qu'il se rende compte que cette potion, même amère, est bonne pour lui, et la prenne de lui-même, sans miel. Le danger serait que l'enfant se désintéresse de la potion, et ne recherche plus que le miel.
Avec les comics c'est la même chose. On commence avec des images, et on poursuit avec, je ne sais pas, Shakespeare, Byron, Shelley, Blake, puis avec Frazer, Pauwels, et pourquoi pas Evola, Crowley, Steiner, Bardon... Bref, on va plus loin, on dépasse. Est-ce que ça veut dire qu'on doit arrêter les douceurs au miel ? Bien sûr que non ! Mais, en tant qu' "à côté plaisant", et pas comme plat principal !

* La stérilité culturelle désespérante de notre époque, et ses ressucées à tous les étages. Oui, c'est déploré par tous, dans tous les milieurs (cinéma, théâtre, mode, art plastique...) mais ça n'en est pas moins rageant, et c'est ce que Moore souligne : on ne peut pas créer l'art et la culture du XXIeme siècle en ne faisant que des "remises à jour" de ceux de la moitié du Xxeme...

Tout cet entretien est passionnant, très juste et très vrai (ô Socrates) et vous pouvez le retrouver ici :
https://slovobooks.wordpress.com/2014/01/09/last-alan-moore-interview/

 

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