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2 août 2016 2 02 /08 /août /2016 15:42

 

La sociabilité virtuelle est une navigation tumultueuse entre deux écueils opposés : la disparition derrière un avatar et celle de toute barrière entre l'intimité et le public. La construction d'un alter ego fictif qui finit par nous dévorer ou au contraire l'exhibition de ses failles qui peut nous détruire.

Pourquoi nous inscrivons-nous dans ces réseaux, pour commencer ? Par réseaux, je n'entends pas que les "réseaux sociaux" mais en général, la toile des relations interpersonnelles et publiques (forums, IRC, blogs...).
* parce que tout le monde le fait et qu'on ne se pose pas la question
* parce que c'est pratique (c'est ainsi que j'ai ouvert ce blog : pour éviter de raconter 15 fois la même chose, sur un film, un voyage etc... à 15 personnes différentes)
* par hobbyisme ou lobbyisme (pour y trouver de quoi satisfaire vos passions, ou propager vos luttes)
* pour combler une faille narcissique, et à propos de ça... HOP DIGRESSION !

[Une expérience, dont j'ai oublié le nom et les auteurs (super sourcé, l'article...) mettait en scène des souris régulièrement droguées, les unes dans un environnement minable, les autres dans un environnement ultra stimulant (plein de circuits rigolos, d'activités... la grosse fête du raton). Les premières ont fini par se laisser mourir de faim pour avoir PLUS DE DROOOOGUE, les autres n'avaient pas d'accoutumance.
Selon moi, internet et ses sociabilités diverses fonctionnent de la même façon : on y échappe à un environnement vécu comme oppressif, angoissant, non satisfaisant ou stimulant. Les plus belles histoires (d'amour, d'amitié, d'aventure etc...) sont celles qui se construisent et se passent hors de tout ceci, sans que "la toile" ne les soupçonne (ne serait-ce que parce que, s'inscrivant dans "la toile" elles s'exposent alors au public et à ses crasses que l'on développera plus tard).
On vient toujours chercher en ligne quelque chose qui nous manque IRL : une info, un enseignement, de quoi rire, une reconnaissance, du lien social...
Quand je passe une semaine sans internet avec des amis, à la campagne, en me promenant, faisant du sport, lisant, écrivant, ayant des conversations passionnantes ... internet ne me manque pas une seule seconde. Quand je suis seule chez moi, ou, pire, quand je partage le domicile familial avec ladite famille, c'est comme si je fusionnais avec la machine, comme l'héroïnomane avec sa seringue "I wanna fuck you like an animal, I wanna feel you from the inside..."
Parfois, quand le mal est tel que je suis incapable de produire la moindre merducscule comme un selfie ou un article, je zone sur des sites stupides et même pas si drôle que ça...
Dériver et combler un manque... Se droguer et soigner ses troubles narcissiques (esthétiques et/ou intellectuels).
Les personnes saines et équilibrés n'existent pas en ligne, n'ont nul besoin de se construire des personnage ou d'exposer leurs tripes.]

Revenons à nos récifs.

* Charybde : l'absence totale de protection, l'exposition nue aux vautours du net (tiens, je me demande si ça existe sur Twitter, ça "les vautours du net" après les putois, renards, louves, sangliers...).
Le problème est évident et son traitement sera rapide, cela concerne le plus souvent des personnes jeunes ou sans grande formation scolaire / intellectuelle, la génération "skyblog" qui a pris pour habitude d'étaler ses états d'âme en ligne avec, au mieux, la seule protection d'un pseudo. C'est la catégorie "ingénus": parfois des personnes arrivées sur le net par hasard, ou pour partager leur art, qui rencontrent une certaine popularité et n'ont pas l'idée d'installer très vite des barrières.
Résultats :
- des feuilletons à n'en plus pouvoir (souvent d'un goût très douteux, niveau talk shaw d'après-midi)
- des proies idéales pour le harcèlement (surtout s'il s'agit de filles mignonnes). Qu'il s'agisse "simplement" de haine bien ciblée (quand une personne se met à nu en ligne, on peut la cerner très facilement, viser là où on est sûr de faire des dégâts, et y aller comme le gros pervers sadique qu'on est), ou de harcèlement physique.
Mais, heureusement, la solution est simple, je la martèle encore et encore : ne mettez pas de photos de vos enfants en ligne, ne parlez pas d'eux, ni de votre famille en général, ni de votre vie sentimentale (avec des noms et des détails), n'évoquez pas votre environnement proche, votre rue, ne mettez pas votre cœur ou votre âme à nue !
Si vous participiez à une partouze, vous mettriez une capote, non ? Internet est bien plus sale, on y chope des stalkers, des haters, des jaloux, de faux admirateurs passif-agressifs, de vrais admirateurs complètement hors contrôle, on y objet et sujet de jalousie, de haine, d'inquiétude, on est épié, on épie... PROTEGEZ-VOUS ! Bordel !
Et ne protégez pas que les données objectives de vos vies, protégez votre esprit, cœur et âme. Méfiez-vous toujours de ce que vous lisez dans le scintillement de l'écran, d'ailleurs imprimez toujours un discours pour l'analyser. Mettez des barrières.

* Scylla : quand le masque devient identité, quand l'armure vous fait prisonnier.
C'est l'autre extrême, celui des prévoyants, qui veulent contrôler, qui savent évoluer en terrain miné... On vient sur internet avec une bonne raison, une mission : faire connaître son art, son activité, défendre des idées... On a bien tout segmenté, on a choisi pseudo, avatar, ligne éditoriale... et youpi, c'est parti !
C'est parti quelques semaines, quelques mois... puis, plus ou moins rapidement, l'avatar acquiert une vie propre (il y aurait de sympathiques histoires d'horreur à écrire là dessus, d'ailleurs). A force d'interactions, votre personnage en ligne se développe, prend de la profondeur, de l'ampleur, de la popularité. A chaque retour (positif ou négatif) le masque se consolide, s'appesantit sur vos traits propres.
Plus votre masque est éloigné de qui vous êtes IRL, plus son emprise est grande, précisément parce qu'il vous offre l'évasion, la drogue évoquée dans la digression : vous êtes en plein jeu de rôle, sauf qu'il n'y a pas de cadre, pas de Maître du Jeu, pas de limite... Et plus le public répond, plus vous lui répondez, plus votre demande inconsciente (de légitimité, d'utilité publique, de mission, de reconnaissance, d'admiration, etc...) est satisfaite, plus le masque vous dévore.
De là, deux conséquences fâcheuses :
- L'auto caricature, le discours de plus en plus outrancier, de plus en plus spécialisé, monomaniaque...
Je prendrai un exemple (que certains reconnaîtront, mais sachez que le but n'est pas de l'accabler, bien au contraire) : une jeune femme pleine de talents, de volonté, et animée d'un idéal sincère se lance dans une croisade sur les réseaux sociaux. Elle est extrême, ne mâche pas ses mots, emploie des moyens très controversés. Elle trouve un public et le circuit se met en place. Son public lui renvoie une image plus que flagorneuse, la compare à des icônes, des symboles qu'elle se met à reprendre à son compte. Et c'est bien normal : sa lutte est extrême, ses sujets ultra polémiques, elle reçoit des tombereaux de haine chaque jour. Elle est donc d'autant plus perméable aux messages de sympathie, à quoi s'ajoute l'effet de milieu, de grille de lecture pré-établie, et le fait qu'en pleine tempête, se remettre en question, hésiter, c'est sombrer. Bref, j'ai de plus en plus l'impression de voir une caricature, un personnage de dessin animé, qui récite d'une voix mécanique le discours attendu, toujours plus simple, plus grossier. C'est terrifiant et triste, parce que, même si je ne connais pas la jeune femme derrière le personnage, je suis à peu près sûre qu'elle est en train de se faire dévorer par son avatar.
- La schizophrénie, menace d'autant plus forte que l'on cloisonne les activités et multiplie les "personnages" (c'est un peu mon cas). La sociabilité numérique nous conduit à forcer le trait, à appuyer le discours, à simplifier et intensifier chacun de nos traits, cf point précédent, ce que ne fait pas la sociabilité réelle.
Au cours d'une réunion amicale, à moins de prise de boisson ou de drogue (ce à quoi peut s'apparenter notre usage internet, on l'a vu), on ne verra pas une personne mesurée et douce se mettre à appeler au génocide ou à étriper ce ##@$$ de **%§§. Parce qu'elle s'entendra prononcer ces paroles, parce qu'elle verra les réactions sur des visages aimés, parce que l'incarnation développe la compassion, l'empathie, et que, d'instinct, on n'ira pas accabler d'insultes une personne dont on voit le visage se défaire et les yeux s'embuer (sauf plaisir sadique auquel je ne suis pas entièrement étrangère par ailleurs... mais là n'est pas la question). Je parle là d'un cadre amical, entre personnes civilisées, pas d'une rixe urbaine.
Sur internet, au contraire, on n'aura aucun problème à torpiller une personne sur une mésentente relativement mineure, dans les termes les plus violents. Pire, on est parfois conduit à le faire envers des personnes que l'on connaît et apprécie IRL (j'ai aussi donné dans ce travers). D'où le gouffre qui peut séparer un "masque" (polémique, agressif, intransigeant...) et un comportement IRL (affable, mesuré, enjoué...).
Ici, ça n'est pas le comportement IRL qui serait "lâche", au contraire. La vraie personne s'exprime dans le réel, quand le discours est incarné, appuyé ou temporisé par le regard, l'intonation, la gestuelle. C'est le "masque" qui est une perte d'humanité, et certainement pas dans le sens du "pur esprit" mais plus dans celui de la possession. C'est l'avatar et son comportement propre qui viennent souiller la personne lorsque celle-ci s'inscrit dans les "réseaux sociaux". A fortiori quand s'agrègent à tout cela des enjeux de pouvoir, d'influence, de séduction, de rôle à tenir. Tous les milieux se reconnaîtront là, tout cela existe IRL, comme le propre des rôles sociaux humains, qui sont toujours plus ou moins masques, mais la virtualisation leur enlève leur humanité, leur légèreté, leur possible grâce, pour n'en faire que des symboles crus, des idéogrammes brutaux.
On croit qu'on revêt une armure alors qu'au contraire, on se dépouille de la tendresse de l'incarnation, de la courtoisie du réel, pour n'être qu'un ego écorché vif, frémissant à la moindre impulsion.

Que faire face à cela ? C'est tout sauf simple et mes idées n'ont pas encore passé l'épreuve de l'expérience.
Il me semble qu'il ne faille garder des rapports "humains" (courtoisie, humour, connivence, camaraderie etc...) qu'avec les personnes que l'on connaît IRL, et dans des cadres inaccessibles à ceux que l'on ne connaît pas (mails, messages privés). Hors de cela, n'être que cet "idéogramme brutal", ce symbole d'acier, efficace : on ne transmet que des idées et des faits, aucun affect, ni positif ni négatif. On ne met en ligne que ce qui nous est suffisamment neutre, distant pour que sa possible souillure ne nous blesse pas (aucune photo dont la raillerie pourrait nous atteindre, aucun discours dont la caricature malveillante pourrait nous heurter).
Neutralité sans engagement personnel, extraire tous les sentiments de la machine, parce qu'ils sont tous, de facto, souillés par elle : la haine comme l'amour y deviennent de grotesques parades animales.
Paradoxe de la Machine qui, nous désincarnant, nous déspiritualise aussi, et ne nous laisse que nos schèmes primaires d'interaction grégaire. Qui veut faire l'ange, fait la bête. Et l'expérience des réseaux virtuels nous révèle, en quelque sorte, la nécessaire incarnation du spirituel, et la spiritualité latente mais non moins essentielle de la chair.

https://www.youtube.com/watch?v=Jlhu2aAl4E0
(Of course, the mask is lying in its threats, yet, one should never go bare face online, so, here's my harlequin's advice : don't wear a mask, wear a mirror !) 



 

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commentaires

M
Je me sens soudain très las à la lecture de cet article. On ne parle pas assez du vrombissement incessant de l'essaim des réseaux sociaux qui plane en permanence sur nos têtes, ce bruit assourdissant qui persiste même après l'extinction des écrans. <br /> Car ce qui est terrible, c'est que ces interactions contaminent totalement les relations IRL. Récemment, j'ai entendu une personne de mon entourage encourager une autre à poster plus souvent sur Snapchat. Combien de fois parlons nous de FB dans la vie de tous les jours ? Combien de fois continuons-nous naturellement IRL une conversation commencée en ligne ? Qui n'a jamais mimé le fait de taper sur un clavier pour dire qu'il parlait à quelqu'un ? Et qui n'a jamais changé d'opinion sur une personne suite à ce qu'elle pouvait poster en ligne ? <br /> Internet est en quelque sorte devenu une énorme excroissance de nos relations sociales, comme une grosse tumeur gonflée du poids de nos ego. <br /> Merci pour les quelques pistes de réflexions sur l'utilisation que nous pouvons avoir d'Internet et des réseaux sociaux afin d'éviter d'y laisser sa peau, je pense que nous devrions tous nous interroger sur nos rapports à cela si nous faisons le choix d'utiliser ces moyens de communication.
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